L’odeur rance du tord-boyau contenu dans le verre de son voisin arracha une grimace de désespoir à Anggra, qui se prit une nouvelle fois en l’espace de cinq minutes à regretter les douceurs de l’Empire Sith et surtout celles de son monde de Nfolgai. Par le Sith’Ari, que ne donnerait-elle pas à cet instant précis pour des vêtements dans la soie la plus soyeuse, des mets de la plus haute qualité, quelques esclaves à son service et un verre de la meilleure liqueur trouvable dans la Bordure ? A peu près toute sa fortune, ce qui en disait long sur son degré d’agacement. Décidément, elle passait bien trop de temps à son goût dans ce bouge sordide qu’était Nar Shaddaa, la plus perle de purin de cet amas de boue qu’était l’Espace Hutt à son humble avis. Oh, elle en reconnaissait volontiers l’importance stratégique pour les affaires des siens, et les siennes accessoirement … Mais pardi, qu’est-ce qu’elle pouvait en avoir assez de hanter les cantinas glauques ! Entre ça et les lupanars douteux … Enfin, l’Inquisitrice devait admettre que comme à chaque fois, son séjour s’avérait plus que profitable. Et avec un peu de chance, une fois son ultime mission accomplie, elle pourrait rentrer, faire son rapport et retrouver ses terres bien-aimées ainsi que ses sujets d’expérience et sa bibliothèque. Inutile de préciser que le raffinement et la culture lui manquaient encore plus cruellement qu’une boisson ne servant pas uniquement à désinfecter n’importe quelle bouche d’égout. Certes, les couches très aisées locales avaient certains trésors qui l’auraient vivement intéressée … Cependant, mieux valait qu’elle évite de se faire repérer, du moins, qu’elle se fasse remarquer plus que nécessaire. Exit le beau monde donc, et bienvenue dans les bas-fonds.
En soi, la Dame Pourpre aurait dû reprendre la route bien plus tôt mais un contretemps l’en avait empêché, puisqu’elle avait reçu une communication lui ordonnant, en tant qu’agent la plus proche de la cible, de rester sur cette planète afin d’appréhender un être ayant eu la relative mauvaise idée de vouloir se jouer des sith en n’honorant pas son contrat. Il convenait donc qu’il le regrette amèrement, et comme il était évident qu’aucune confiance n’était plus possible, qu’il disparaisse. Voilà qui avait le mérite de replonger Anggra dans ses vieilles habitudes d’assassin, ce qui était paradoxalement le plus agréable dans tout cela : les manigances, les complots, c’était évidemment amusant … Mais rien ne valait le plaisir de la traque, sombre, brut et sans fard : juste la proie et sa chasseuse, engagés dans une course contre la montre dont le vainqueur ne saurait être une autre personne que la sith elle-même. Surtout que sa cible avait manifestement un brin de jugeote, puisqu’elle avait soigneusement dissimulé ses traces. A croire qu’elle attendait de la visite … Ou alors, il s’agissait simplement d’une personne prudente, donc dangereuse, car rouée et en plus dotée d’un cerveau en état de marche. Qui eut crû que cela puisse exister dans le milieu peu glorieux des trafiquants ? L’on en apprenait tous les jours.
Résultat des courses, Anggra se trouvait depuis quelques jours à traquer méthodiquement sa future victime, rassemblant toutes les informations possiblement collectables afin d’en apprendre davantage, ce qui impliquait d’écumer les repaires de truands les plus adéquats, et donc de se coltiner des cantinas de seconde zone à la pelle. Heureusement que son estomac était en plastacier trempé ! Et son nez à l’épreuve de l’odeur des gamorréens qui se trouvaient non loin d’elle et étaient apparemment engagés dans une discussion éminemment intéressante sur la taille de … En fait, réflexion faite, elle préférait arrêter immédiatement d’écouter cette conversation. Tout de suite. Se déplaçant, la sith se rapprocha de la scène, faisant semblant de s’intéresser aux danseuses tout en laissant son esprit vagabonder.
A vrai dire, un autre fait l’empêchait de pester autant que d’ordinaire. Depuis deux jours, une impression étrange la tenaillait, comme si la Force essayait de lui passer un message. La veille, des visions étranges avaient assailli son sommeil. Y figuraient une ombre rouge se penchant sur une créature à la chevelure brune, de dos. Lorsqu’elle s’en approchait, une voix d’outre-tombe se mettait à résonner sans qu’elle ne puisse saisir le sens de ses paroles, et sa main se glissait soudainement dans celle du mâle. A son réveil, en sueur, la sith avait immédiatement tenté de méditer sur le sens de cet enchaînement d’image, tentant même de convoquer quelques connaissances alchimiques … Mais rien. Elle n’était pas assez versée dans les arts prophétiques pour être certaine qu’il s’agissait d’un message de la Force, et encore moins en comprendre la teneur le cas échéant. Néanmoins, son instinct lui soufflait qu’il s’agissait de quelque chose d’important, et jamais elle n’avait été trahie par ce dernier … Du moins, pas en tant que manipulatrice de l’entité mystique qui lui avait offert ce don si précieux. Pour le reste, certes, elle ne pouvait pas en dire autant. L’expérience, cependant, n’était pas mauvaise conseillère, au moins.
Oui, Anggra avait l’intime conviction que cette traque allait se révéler bien plus prometteuse que prévu, et un sourire carnassier se dessina sous son masque : la traqueuse s’était éveillée, et sa proie allait peut-être légèrement différer de ce qui était originellement prévu.